Sortie alpine à Piora (TI)

                                                                                                                                            

30 juin - 1er juillet 2007

 chant de la bartavelle

                    

     

Grandiose ! C'est le moins que l'on puisse dire de ce petit val, perché à 2'000m d'altitude au-dessus de la Léventine, et qui regorge de richesses botaniques, ornithologiques, entomologiques, géologiques, batracologiques et … gastronomiques. Passé la déconvenue de l'absence (annoncée) de la Gorgebleue, le Val Piora ne nous aura déçus en rien.    

 

L'aventure a commencé bien tôt samedi matin à la gare de Bienne où les yeux embués de fatigue des ornithos ont croisé ceux embrumés d'alcool des derniers fêtards de la braderie. Quelques heures plus tard, passé le Gotthard, c'est un ciel dégagé, avec quelques gros cumulus, qui nous accueillait au Tessin. La première émotion nous aura été procurée par le vaillant petit funiculaire qui nous a hissés en quelques minutes de 1'000 à 1'800m sur une pente flirtant par moments avec les 90%. Ce qui fait que, sur les tronçons de pente "normale" (disons, environ… 60%), nous étions tous penchés à 30% et agrippés aux poignées ou à notre voisin pour ne pas tomber!

                      

A partir de la station supérieure du funiculaire, il nous aura fallut deux heures et demies au lieu d'une pour atteindre la cabane de Cadagno. Non pas que les membres du CEPOB soient des lambins fainéants, mais bel et bien parce qu'il était tout simplement impossible de ne pas s'arrêter pour admirer les innombrables corolles des Lis orangés qui mettaient le feu aux prairies, saupoudrées de Paradisies faux lis. Les magnifiques étoiles des Joubarbes (de montagne, des toits ou aranéeuses) rivalisaient avec celles des Saxifrages (cotylédons, paniculées, étoilées ou rudes); les Astragales (des Alpes ou des régions froides) et les orchidées (de l'Orchis brûlé à l'Orchis grenouille en passant par l'Orchis moucheron, le Pseudorchis blanchâtre, l'Orchis à larges feuilles ou encore la Nigritelle noirâtre) ajoutaient des notes lilas, blanchâtres ou jaunâtres, roses ou carrément rouge sang, tandis que les Arnicas, les Porcelles, les Crépides dorées, les Epervières piloselles ou les Séneçons doronic nous apprenaient à décliner le jaune sous toutes sortes de nuances; sans oublier le jaune soufre de l'Anémone… soufrée, ni l'Aster des Alpes, adjoignant à son cœur jaune d'or une couronne lilas. Impossible de résister à se coucher par terre pour prendre une photo. Pour une fois, les ornithos ont eu le nez presque plus souvent au sol qu'en l'air !

                                      

Et c'est parmi les énormes feuilles argentées de la Centaurée rhapontique, que les oiseaux nous ont rappelés à leur bon souvenir, avec la découverte du premier Monticole de roche: un magnifique mâle bleu métallisé, au ventre orange, qui parcourait les prairies en sautillant à la recherche de nourriture pour sa progéniture. Car les prairies ne regorgeaient pas que de fleurs, mais aussi d'insectes, parmi lesquels de nombreux papillons aux couleurs tout aussi chatoyantes: Macaons, Azurés, Cuivrés, Apollons, Candide et même un Sphynx, celui de l'euphorbe. Le Monticole était accompagné dans sa chasse par les Pipits spioncelles qui égrenaient infatigablement leurs notes liquides, tandis que les Traquets motteux zébraient la prairie de leurs croupions blancs barrés de noir.

Quelques Tariers des prés plus loin, nous apercevions le drapeau national, flottant à côté de la cabane de Cadagno où nous allions passer la nuit, et les Sizerins et Linottes nous saluaient au passage. Attablés à la terrasse de la cabane, nous avons cru un instant voir arriver l'Aigle royal, sous la forme d'un gros rapace glissant silencieusement, presque sans aucun battement d'ailes, et nous survolant à faible altitude. Mais sa coloration uniformément beige clair sur tout le dessous des ailes, pointes des rémiges primaires mises à part, et de la gorge à la queue, sans aucune tache noire, avec juste une discrète trame brunâtre et une queue plus sombre, barrée de noir, nous ont laissés perplexes. Finalement, nous avons admis qu'il ne pouvait s'agir que d'un jeune Circaète Jean-le-blanc!

 

Le temps de prendre nos quartiers dans la cabane et d'observer une Niverolle, nous étions repartis par petits groupes, vers le Passo delle colombe ou plus haut vers le Lago di dentro. Certains se seront arrêtés longuement pour profiter au mieux des jeux des marmottes. D'autres auront continué leur chemin, croisant quelques Grenouilles rousses et des Grassettes aux délicates corolles bleu violacé.

Florine et la grenouille

Mais le fumet du "brasato" mariné au merlot, allié à celui d'une minestrone dont Knorr et Maggi ferait bien de s'inspirer, le tout accompagné d'une moelleuse polenta mijotée et remuée avec soin tout l'après-midi par l'équipe de jeunes gardiennes, a fini par tous nous ramener à la cabane pour une soirée chaleureuse et conviviale.

Si la nuit fut calme, elle n'en fut pas moins chaleureuse non plus: à 60 dans des dortoirs prévus pour 55, on se tient chaud ! Qu'à cela ne tienne, 5 heure sonnait les matinales, et ceux qui avaient pu dormir jusque là se levaient, laissant enfin dormir ceux qui avaient eu trop chaud.

 

Dehors, les brumes matinales enveloppaient un peu les sommets alentour et un cruel dilemme attendait les ornithos: Petit Coq derrière la colline de Mottone, ou Perdrix bartavelle vers le col entre les lacs Cadagno et di Tom ? Assez rapidement, le consensus est né autour de la Bartavelle, et c'est à travers les verts reposoirs à bétail, couverts de grasses oseilles et malheureusement abandonnés depuis un an par la Gorgebleue, que nous avons cheminé en direction des marais à linaigrettes de Cadagno, avant de grimper à flanc de coteau, scrutant le moindre tas de pierres dans les pentes herbeuses, cherchant une Bartavelle là où ne se dressait qu'un vieux bout de bois ou un caillou un peu pointu. Marchant en tête, Jean-Pierre n'en démordait pas, "elles" devaient se tenir plus haut, dans les rochers au-dessus des prairies, et il nous a entraînés en direction du col. L'alerte par contre est venue de l'arrière-garde, Michèle ayant été la première à repérer un curieux "chant" grinçant et raclant comme un concasseur en sourdine. Aucun doute, une Perdrix bartavelle chantait un peu plus haut dans la pente.

Avec tout ce qu'il avait promis à tout le monde, et même si nous avions déjà de très belles observations de Monticole à notre actif, le GO du week-end avait intérêt à assurer: du coup, il n'a plus décollé de sa longue-vue, malgré les volutes de brouillard qui voilaient par moments le champ de vision, jusqu'à ce qu'enfin il puisse lancer un triomphant: "Je l'ai!". A partir de là, le groupe ressembla à une fourmilière assoupie dans laquelle on vient de planter un bâton! Le GO ne savait plus comment ni à qui expliquer où se trouvait la Bartavelle qui posait fièrement au sommet de son rocher herbeux, et les longues-vues furent prises d'assaut. Mais il y en eut pour tout le monde. Le couple de Bartavelles, car elles étaient deux, s'est montré très coopératif et a pris la pose pendant plus d'un quart d'heure, ne s'interrompant que de brefs moments pour picorer alentour, et nous laissant tout loisir de détailler les flancs joliment rayés, la bavette blanche cernée de noir et surmontée d'un éclatant et massif bec rouge corail. Un moment de pur bonheur ! Et une coche magnifique pour pas mal de personnes présentes.

 De retour à la cabane, et après un excellent et copieux petit déjeuner, tout le groupe se trouvait à nouveau une dernière fois au complet, avant de se scinder entre une équipe souhaitant profiter plus calmement du bord du lac Ritom, et une autre bien décidée à en découdre avec une autre perdrix, le Lagopède. Le temps d'identifier une Fauvette babillarde, et chaque groupe s'en allait de son côté.

 

En ce qui concerne les plus fêlés, prêts à porter leurs lourds sacs à dos pour le reste de la journée, nous avons assez rapidement quitté le chemin pour nous lancer à l'assaut des pierriers de la Costa di Giübin, en traversant une lande subalpine au contraste saisissant entre le rose vif des Rhododendrons et le jaune canari des Trolles, pas ceux des cavernes du Seigneur des Anneaux ni ceux du château de Poudlard, mais bel et bien ceux que le langage populaire a baptisés "boutons d'or".

La suite tient du suspense à la Hitchcock, et vous est relatée sous la forme du carnet de notes du commissaire Bourel (une référence qui prouve que l'auteur de cette bafouille n'est plus tout jeune…ceux qui ont connu les feuilletons à la télé en noir et blanc apprécieront):

-  2'000m d'altitude: Le groupe s'est étiré et se scinde en deux, une partie s'en allant à flanc de coteau en direction du Laghetto di Giübin, l'autre continuant son ascension en direction des éboulis à gros blocs.

-  2'100m d'altitude: Les Rhododendrons ont cédé la place à l'Azalée des Alpes, à la Camarine hermaphrodite et au Saule réticulé; deux Renoncules des glaciers sont en train d'ouvrir leurs corolles encore rose foncé aux bords d'un ruisselet; l'étage alpin n'est plus très loin, et avec lui l'insaisissable Lagopède. La tension monte proportionnellement avec l'altitude et le rythme cardiaque.

-  2'200m d'altitude: Les premiers gros blocs de gneiss, chamarrés du jaune citron liséré de noir des croûtes du Rhizocarpon geographicum, un lichen appelé la "carte géographique", sont à notre portée. Nous faisons une halte bienvenue pour souffler un peu et admirer les corolles mauves de la Petite Soldanelle, cousine orientale de la Soldanelle des Alpes, qui fleurit sur un parterre d'herbes sèches tout juste découvertes par la fonte de la dernière neige. La tension est palpable, et les enfants expriment tout haut ce que chacun se demande en son for intérieur: dire qu'il est peut-être là, à un jet de pierre, à nous observer discrètement! En scrutant l'arrête, nous découvrons deux Merles à plastron, dont la silhouette se découpe sur le ciel gris.

-  2'300m d'altitude: Cette fois, c'est un pied devant l'autre, pas à pas, que nous progressons dans le chaos des gros blocs secs et rugueux comme du papier de verre, impression encore renforcée par la brillance des myriades de micas. Encore une centaine de mètres et nous serons obligés d'amorcer la descente vers le Laghetto di Giübin où se trouve déjà, loin là-bas en bas, l'autre partie du groupe. La tension est à son comble, les enfants sautillent d'excitation d'un bloc à l'autre, tentant d'imiter le rot sonore du Lagopède dans un dernier espoir de le faire sortir de son repère. Et soudain, tout se précipite: le fameux cri rauque ressemblant au grincement d'un vieux clédar rouillé s'est fait entendre par deux fois à quelques dizaines de mètres au-dessus de nous et deux éclairs blancs ont scintillé quelques secondes, tel un stroboscope, le temps de s'éteindre un peu plus loin dans la grisaille des rochers: "C'est lui!", nous tentons vainement d'installer le trépied avec la longue-vue sur un gros rocher, plat d'apparence, mais qui s'avère finalement si biscornu qu'il nous faut nous déplacer un peu avant de pouvoir enfin pointer la longue-vue dans la direction de notre fugitif. Et quelques instants plus tard, une masse arrondie, brun marron marbré de blanc, se détache sur le fond gris ardoise d'un rocher: le Lagopède est là ! Dès lors, chacun à son tour aura pu prendre toute la mesure de ce que le mimétisme peut signifier lorsque dame Lagopède se tient immobile dans son environnement rocailleux, ne perdant par contre rien de nos mouvements ni de nos éclats de voix. Une magnifique démonstration. Et, au moment de redescendre, notre attention est encore captée par le passage d'un renard en contrebas, alors que sur la crête rocheuse se découpe la silhouette d'un très beau Chamois.

-  2'200m, 2'100m, 2'097m: en un rien de temps, presque légers comme l'air, portés par l'enthousiasme de notre rencontre avec le Lagopède, nous voilà au bord du petit Laghetto di Giübin où nous rejoignons le groupe. Claude, allongé sur l'herbe sèche et appuyé à son énorme sac photo, va enfin pouvoir manger le pique-nique que Thérèse avait emporté tout là-haut avec elle! Evidemment, un Nikon D2x et un gros 400mm sur trépied, ça reste peu digeste, même quand on a très faim!

Le reste de la promenade n'a pas été une sinécure. Il nous a fallut encore remonter à 2'120m d'altitude, à travers les Rhododendrons et les Mélèzes, sous le chant du Pipit des arbres et d'une splendide Fauvette babillarde, avant de plonger littéralement vers le barrage de Ritom.

Merci à Jean-Pierre pour nous avoir convaincus que le restaurant de Ritom était bel et bien ouvert, bière fraîche à l'appui. Merci à Pierre, pour sa patience imperturbable à la terrasse de la buvette du funiculaire, bercée par la mélopée des chants traditionnels tessinois et le rire sonore du patron. Merci à toutes celles et ceux qui ont serré les dents, les genoux et les orteils, sur ce sentier escarpé, avec tous leurs bagages sur le dos, sans jamais laisser entrevoir d'exaspération. Merci aux autres, pour leur bonne humeur, malgré les heures passées à attendre la bande de fêlés qui sont allés taquiner le Lagopède tout là-haut dans les rochers. Et merci à la Landi, qui, avec son site web de prévisions météo, ne s'est pas trompée, puisqu'il a fait beau jusqu'au moment de reprendre le train à Airolo !

Philippe Grosvernier                                                                          Les photos sont de Philippe, Willy, André, Françis et Marie-Rose


 

Toutes ces épreuves ont eu raison de Françis qui a décidé de repartir vivre sous son pont !

Chacun d'entre nous connaît "le Soulier de satin", drame de Paul Claudel, Le Cépob connait maintenant " le soulier de Quentin", drame en une paire de godasse que l'une des participantes, qui tient à garder l'anonymat par crainte des représailles, n'a pas hésité à nommer     

        "les pompes funèbres" !

 


Liste des espèces observées

1 Héron cendré (à Airolo)

Chamois

1 Circaète Jean-le-Blanc immature

Bouquetin

Faucon crécerelle

Renard

1 femelle Lagopède

Marmotte

1 couple Perdrix bartavelle

Martinet noir

Pipit spioncelle

Grenouille rousse

Pipit des arbres

Bergeronnette grise

Bergeronnette des ruisseaux

Macaon

Troglodyte mignon

Petite tortue

Cincle plongeur

Cuivré

Accenteur mouchet

Nègre

Rougegorge familier

Azurés

Rougequeue noir

Candide et bien d'autres papillons

Traquet motteux

Tarier des prés

Monticole de roche

Merle à plastron

Et une liste, bien trop longue, de plantes !

Fauvette à tête noire

Fauvette babillarde

Pouillot véloce

Roitelet huppé

Mésange noire

Mésange boréale

Cassenoix moucheté

Chocard à bec jaune

Grand Corbeau

Etourneau sansonnet (à Piotta)

Niverolle alpine

Pinson des arbres

Linotte mélodieuse

Sizerin flammé

Chardonneret élégant

        

     

 

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 Portfolio de Mary-Rose Krebs réalisé pendant la sortie. Faucon admire